Nous connaissons tous cette fameuse réponse de Jésus, mais elle n’a rien à voir avec la séparation de l’Église et de l’État. Le Seigneur nous rappelle ici qu’aucun empereur, aucun dictateur, aucun chef de gouvernement ne peut tout contrôler dans nos vies. Il n’y a pas seulement César, il y a aussi Dieu.
La pièce de monnaie présentée par les pharisiens portait l’effigie ou l’image de l’empereur. Elle lui appartenait donc. Mais l’être humain est créé à l’image de Dieu : «Homme et femme il les créa, à son image il les créa». (Genèse 1) Nous appartenons donc à Dieu et non à l’empereur.
Ce que Jésus répond à ceux qui cherchent à le prendre en défaut afin de l’accuser devant le représentant romain, c’est qu’il faut respecter l’autorité civile mais, souligne-t-il, l’empereur n’est pas tout puissant. Sur la pièce d’argent qu’on lui présentait, il y avait l’image de l’empereur Tibère, qui gouvernait l’immense empire romain à partir de son île de Capri, et sur cette monnaie, on qualifiait l’empereur de «divin». Le Christ conteste cette affirmation et dit que l’empereur n’est pas divin, il n’est pas Dieu. Saint Pierre rappellera aux chrétiens que dans plusieurs circonstances «il faut obéir à Dieu plutôt qu’aux hommes». (Actes 5, 29)
Au deuxième siècle, un auteur chrétien, Théophile, évêque d’Antioche, écrivait : «Je rendrai hommage à l’empereur, mais je ne l’adorerai pas. Je n’adorerai que Dieu seul, sachant que l’empereur est un être humain comme moi et qu’il a été créé comme moi.» Un autre écrivain des premiers siècles conseillait aux chrétiens «de ne pas se laisser subjuguer par aucun des césars de ce monde.» Et il ajoutait: «Ne renoncez jamais à votre liberté intérieure qui est le don le plus précieux que vous ayez reçu.»
Le Christ répète donc que César est César, mais il n’est pas Dieu. Le pouvoir politique, quel qu’il soit, n’a pas le droit d’envahir les consciences et de s’emparer de tout l’être humain. C’est pourquoi la phrase la plus importante du texte reste celle ou Jésus dit : «Rendez à Dieu ce qui est à Dieu».
Nous ne donnerons à l’empereur et à l’empire d’aujourd’hui ni notre foi et ni notre comportement moral, ni nos espérances, ni nos rêves. Nous conserverons notre liberté intérieure et notre sens critique. Les gouvernements ne peuvent jamais nous obliger à agir contre notre conscience.
Au début de la guerre en Irak, je me souviens d’avoir lu, dans une revue américaine, les remarques d’un prêtre sur la décision de son pays de risquer la vie de ses jeunes soldats et de dépenser des milliards de dollars pour engager une guerre que les Nations Unies, les Américains eux-mêmes, les Britanniques, les Français, des millions de gens à travers le monde, et toutes les grandes religions, déclaraient illégale et sans raisons suffisantes. Après la messe, le prêtre en question a été sévèrement réprimandé par le conseil de fabrique qui lui demanda de ne pas se mêler de politique. Pour conclure leur argument, les conseillers utilisèrent le texte d’aujourd’hui : «Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu». En fait, ces conseillers paroissiaux n’avaient rien compris à la réponse du Christ.
Jésus n’a jamais demandé aux chrétiens de ne pas critiquer les décisions de leur gouvernement. S’il l’avait fait, les chrétiens de l’Afrique du Sud n’auraient pu s’opposer aux lois injustes et inhumaines qui permettaient de maintenir le système d’apartheid ; les chrétiens américains n’auraient pu combattre les pratiques immorales sur l’esclavage et la violence faite aux Noirs longtemps après que l’esclavage fut aboli ; les chrétiens d’Europe et d’Asie n’auraient pu résister aux politiques athées de l’Union soviétique, de la Chine et d’autres pays communistes ; ils ne pourraient s’opposer aux gouvernements musulmans qui refusent tout droit de cité aux autres religions et qui traitent les femmes comme des êtres humains de classe inférieure; ils ne pourraient critiquer certains dirigeants de notre propre Église qui protègent leur pouvoir en s’associant à des gouvernements qui écrasent toute dissension, utilisent la torture et massacrent ceux et celles qui s’opposent à leur dictature, comme ce fut le cas au Chili, en Argentine et au Congo.
Plusieurs gouvernements refusent très souvent de donner à Dieu ce qui appartient à Dieu. D’autres manipulent la religion pour leurs propres intérêts et octroient à l’Église certains privilèges afin de mieux la contrôler en lui imposant sa propre idéologie.
Il est significatif que, dans le texte d’aujourd’hui, Jésus mette en valeur «nos devoirs envers Dieu», alors qu’on lui posait la question sur nos devoirs envers l’empereur. Jésus n’a jamais voulu empêcher les gens d’être des citoyens responsables, mais il nous rappelle que la politique n’est pas la seule réalité dans nos vies. César n’est pas tout puissant, et il n’est pas Dieu. L’État joue un rôle important mais il ne peut avoir le monopole de nos vies.
Dans un monde pluraliste, les gouvernements sont amenés, à l’occasion, à passer des lois et des règlements qui vont à l’encontre de nos propres valeurs chrétiennes, mais cela ne doit pas nous empêcher d’exercer notre liberté chrétienne et d’agir selon notre propre conscience.
Dans un monde où toutes les opinions ont pignon sur rue, il faut beaucoup de discernement pour faire la part des choses et savoir «rendre à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu.»
Source: https://www.cursillos.ca/formation/reflexions-dominicales/annee-A/R-A57-Dim29.htm
Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.