Autrefois, on appelait la fête d’aujourd’hui «la Fête-Dieu», et on mettait l’accent sur la proclamation publique de notre foi : procession dans les rues, reposoirs, rassemblement de toutes les confréries, etc. Depuis Vatican II, on l’appelle «la Solennité du Corps et du Sang du Christ». C’est un changement significatif car il met l’accent sur la célébration communautaire de l’Eucharistie, plutôt que sur la proclamation extérieure de notre catholicisme. La fête du Corps et du Sang du Christ nous invite donc à renouveler notre intérêt pour la célébration communautaire du Jour du Seigneur.
L’eucharistie, c’est d’abord la fête du souvenir : «Faites ceci en mémoire de moi». Le texte du Deutéronome (1re lecture) commence par les mots : «Souviens-toi…».Cette lecture rappelle que Dieu a accompagné son peuple dans le désert, l’a abreuvé de l’eau du rocher, et l’a rassasié d’un pain inconnu qu’ils nommèrent «la manne».
Lorsque le Deutéronome a été rédigé, les Hébreux avaient depuis longtemps quitté le désert et s’étaient établis en Palestine. Ils risquaient d’oublier tout ce que Dieu avait fait pour eux. «Souviens-toi que Dieu t’a libéré de ton esclavage d’Égypte. Souviens-toi de tout le chemin que Yahvé ton Dieu t’a fait parcourir pendant quarante ans dans le désert.» Une fois en Palestine, sédentaires et prospères, ils peuvent maintenant profiter de leur richesse, mais ils risquent d’oublier le Dieu qui les a libérés. Quand tout va bien, quand la prospérité fait partie de la vie, que la santé est excellente, on devient facilement auto-suffisant et on a l’impression de n’avoir plus besoin de Dieu. Il est difficile de se souvenir de Dieu dans une période de bien-être!
Après les attaques terroristes du Onze Septembre aux États Unis, les médias ont souligné la plus grande participation aux offices religieux aux États-Unis. Une fois le calme revenu, cette participation a diminuée de nouveau. Il semble qu’à mesure que les gens deviennent prospères et qu’ils n’ont pas à faire face à des problèmes sérieux, leur mémoire s’appauvrit.
Les textes d’aujourd’hui nous rappelle qu’un regard sur notre passé nous aide à reconnaître la présence de Dieu dans nos vies et nous permet d’envisager l’avenir avec confiance. Ici au Québec, on répète souvent le slogan : «Je me souviens», et on le retrouve sur toutes les plaques d’immatriculation de nos véhicules. Malgré cela, bon nombre de Québécois souffrent d’amnésie partielle. Des milliers d’entre nous avons oublié notre héritage religieux.
La mémoire d’un peuple, c’est un peu comme les racines d'un arbre. L’arbre vit grâce à elles, il leur doit sa subsistance et sa croissance. Les fleurs, les fruits et les feuilles peuvent tomber chaque année, mais les racines restent. L'avenir de l’arbre est dans ses racines.
Les eucharisties que nous célébrons n’ont pas à être des performances spectaculaires, mais elles doivent activer le souvenir de ce que nous sommes. Elles sont là pour nous rappeler ce que Dieu a fait pour nous, lui qui nous accompagne, dans les bonnes années comme dans les années plus difficiles : «Souvenez-vous... Faites ceci en mémoire de moi.»
La fête d’aujourd’hui est donc la fête du souvenir. Elle est aussi la fête de l’unité. Comme le dit S. Paul : «À plusieurs, nous ne formons qu’un seul corps, car tous nous participons à ce pain unique.» (1 Corinthiens 10, 17)
Nous oublions souvent l’extraordinaire capacité de réconciliation de l’eucharistie. À la fin du sermon sur la montagne Jésus disait : «Si tu viens offrir ton offrande à l’autel et que tu te souviens alors que ton frère a quelque chose contre toi, laisse-là ton offrande, va d’abord te réconcilier avec ton frère, puis revient présenter ton offrande au Seigneur.» (Mt 5, 23-24)
L’eucharistie reste, à travers les siècles, le symbole de l’unité dans la diversité. Tous nous pouvons y participer : libéraux, conservateurs, membres du parti québécois, membres du NPD, jeunes adultes, personnes âgées, traditionalistes, innovateurs, couples, célibataires, gens de toutes les orientations politiques, sexuelles et religieuses. Ensemble, à travers nos diversités, nous formons le corps du Christ. Notre source d’unité n’est pas le pays, le parti politique, la culture, la couleur de notre peau … c’est le Christ qui nous invite à sa table : «Venez à moi, vous tous qui souffrez et qui portez de lourds fardeaux, et je vous soulagerai.»
Le grand S. Augustin, en parlant de l’eucharistie, s’exclamait : «O mysterium unitatis, o vinculum caritatis»… O mystère de l’unité, o lien de la charité! Lorsque nous quittons l’église, à la fin de l’eucharistie, nous sommes invités à retourner dans nos familles, au travail, aux loisirs, pour construire un monde de paix, de fraternité et de partage, un monde qui ressemble un peu plus à la vision que Dieu a pour nous.
La célébration du Corps et du Sang du Christ est donc très importante parce qu’elle souligne la valeur unique de nos rencontres dominicales. C’est une fête qui nous invite à nous souvenir du rôle primordial que Dieu joue dans notre vie. Elle nous aide aussi à devenir de plus en plus une véritable communauté, dans l’unité et la diversité. Si nous partageons la vie du Christ, notre vie aura un goût d’éternité.
Si quelqu’un mange de ce pain, il vivra éternellement.
Source: https://www.cursillos.ca/formation/reflexions-dominicales/annee-A/R-A33-StSacrement.htm
Par le Père Yvon-Michel Allard, s.v.d., directeur du Centre biblique des Missionnaires du Verbe Divin, Granby, QC, Canada.